Réflexion sur la place des femmes dans l’Eglise

 Voici une réflexion de deux philosophes: l’une laique et l’autre consacrée  dans une tribune de la croix  en ce  8 mars 2022

« Dans l’Église, la femme ne doit pas être la Schtroumpfette du Schtroumpf »

En s’appuyant sur Simone de Beauvoir et le personnage de la Schtroumpfette, les professeures de philosophie Marie Grand et Blandine Lagrut proposent une réflexion sur la place des femmes dans l’Église. Une contribution importante aux débats post-Ciase symboliquement publiée ce 8 mars, pour la Journée internationale des droits des femmes.

On s’interroge souvent sur la « place des femmes dans l’Église ». Sont-
elles suffisamment présentes ? Mais en réalité cette question elle-même est déjà
problématique. Simone de Beauvoir s’étonnait d’avoir à rédiger Le Deuxième Sexe : «
Un homme n’aurait pas l’idée d’écrire un livre sur la situation singulière qu’occupent
dans l’humanité les mâles. » La place de l’homme va souvent de soi, contrairement à
celle de la femme : là se trouve la grande asymétrie. Pour rééquilibrer cette
situation, il ne suffira pas de faire plus de place aux femmes ou de répartir mieux
les charges – selon un modèle topographique. Il faudra plutôt insuffler de nouvelles

pour que « le couple humain trouve sa vraie figure », selon l’expression de Beauvoir.

Le grand mérite de cette philosophe est d’être descendue à la racine de la difficulté en montrant que ce qui dysfonctionne, c’est d’abord la relation entre les sexes. La logique voudrait que l’homme diffère autant de la femme que la femme diffère de l’homme, or on a tendance à faire de la femme l’« Autre absolu ». Un peu comme chez les Schtroumpfs : le masculin est le centre, la norme, le neutre, le même ; le féminin est la périphérie, la variation, la différence, l’Autre. La femme, comme la Schtroumpfette, est parachutée au milieu du récit, c’est l’élément d’exotisme*. Occupant une place marginale, elle est vouée à s’adapter à un monde pensé sans elle, cantonnée à des postures stéréotypées qui l’empêchent de se déployer comme singularité. L’homme, comme le Schtroumpf, manque alors d’un vis-à-vis qui lui permettrait de se comprendre lui-même comme un autre.

L’Église et le syndrome de la Schtroumpfette

. On a par ailleurs cru valoriser les femmes en magnifiant certaines de leurs supposées qualités, notamment leur douceur naturelle, sans percevoir que cela risquait de les évincer de la dialectique créatrice propre à tout rapport d’altérité. Or, le paradoxe de l’« Autre absolu », c’est qu’on peut faire sans : dans certaines épîtres, on finira d’ailleurs par leur imposer le silence dans les assemblées (1 Tim 2,14-15). Comment expliquer ce durcissement ? Peut-être par la nécessité de s’accommoder aux mœurs de l’époque largement misogynes, comme le soutiennent certains théologiens. Pour rendre l’Évangile crédible et ne pas scandaliser les païens, mieux valait que les femmes s’effacent. Idéalisation du féminin, stéréotypes qui réduisent les particularités et, in fine, invisibilisation : ces processus souterrains à peine conscients contestent aux femmes la capacité à être de véritables vis-à-vis pour les hommes.

Pourtant, les Évangiles n’imposent pas cette lecture. Jésus ne définit nulle part « la femme » et ne fixe jamais son rôle dans l’Église ou dans le monde. Il interroge même les images dans lesquelles elle pourrait s’enfermer (Lc 11,27-28). Plutôt qu’une « théologie de la femme », la Bible met en avant la différence sexuelle, et ce dès les récits de création. C’est dans le creuset de ce rapport dialectique équitable, dont les termes ne sont jamais essentialisés, qu’hommes et femmes sont appelés à entrer en relation. La domination masculine est explicitement présentée dans la Genèse comme une malédiction (Gn 3,16). Cette asymétrie est une injustice dont nous ne devons pas nous accommoder mais une blessure à guérir. La relation homme-femme se trouve donc au cœur du souci divin ; c’est l’un des enjeux du Salut.

Rétablir la réciprocité

Rétablir la vie de cette relation, c’est essentiellement en rétablir la réciprocité. C’est ce que les institutions laïques cherchent à faire par souci de justice. C’est ce que nous devrions promouvoir par souci évangélique. Il est intéressant de noter que le baptême chrétien est l’un des rares rites initiatiques parfaitement mixtes. La fille comme le garçon y reçoivent le même sacrement et naissent à la même vie nouvelle. Sur le fond de cette condition commune et indélébile, on peut espérer que la différence des sexes mûrisse en une conflictualité sereine, une « guérilla sans reproche », selon les mots de René Char.

Comment, dans l’Église de demain, le couple humain trouvera-t-il « sa vraie figure » ? S’il est vrai que les enfants de Dieu, égaux en tant qu’unis au Christ, ne forment qu’un seul corps, on tenterait bien une sorte d’« acupuncture ecclésiologique » : plutôt que de risquer une chirurgie invasive, insister avec sagesse sur quelques points sensibles jusqu’à ce que l’organisme invente lui-même de nouveaux équilibres. Parmi les grands méridiens où circule la vie de l’Église, il y a tout d’abord la parole. Il est urgent d’entendre davantage de voix féminines dans les assemblées, car si dans l’Antiquité on servait mieux la diffusion de l’Évangile en restreignant la prédication des femmes, aujourd’hui leur silence est un contre-témoignage.

Gouvernance partagée

Concernant la gouvernance, le rapport de la Ciase a rappelé qu’un exercice dialectique du pouvoir permettait d’en limiter les dérives. Nombre d’associations et de communautés vivent déjà des expériences heureuses de gouvernance mixte. Dans ces modèles d’organisation, chacun conquiert non pas le droit d’exister contre l’autre mais la capacité d’être soi grâce à l’autre. Peut-être gagnerait-on aussi un temps précieux en se mettant à l’écoute de l’expérience et de la créativité apostolique des femmes elles-mêmes pour dégager les nouvelles formes de ministères dont nous avons besoin. Avec tact, avec détermination, rétablir l’équilibre de la relation femme-homme, afin que chacun soit l’autre de l’autre.